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Repères historiques

La post performance est un ludo concept, qui porte en lui son équivocité. Le « post » ici n'est pas un « after », c'est-à-dire qu'il n'indique ni la fin ni le déclin d'une pratique mais peut-être l'épuisement d'un mot et la nécessité d'en cerner de nouvelles définitions, en le mettant en jeu à la fois théoriquement et pratiquement. Ainsi s'adjoint le vocable « future » à la fois pour qualifier un terme qui se veut en continuité, inscrit dans une histoire, des histoires, et résolument interrogateur du futur. Qu'en est-il, qu'en sera-t-il de la performance au XXIe siècle ?
Le terme « post performance » inventé par Marie de Brugerolle en 2011 d'une part pour qualifier un ensemble de pratiques et de problématiques issues, ou en écho, à celles nées au milieu du siècle dernier, happening (1953-59), event (1959), performance (1970), pour lesquelles elle avait fait des recherches historiques auparavant. Des expositions telles que Hors Limites l'art et la vie, 1994, qui questionnait l'origine de ces notions, puis Ne pas jouer avec les choses mortes en 2008 à la Villa Arson, qui posait la problématique des restes matériels de celles-ci, ont été des jalons de cette problématique. La longue recherche menée pour découvrir et faire connaître le travail de Guy de Cointet et les discussions avec des artistes comme Paul McCarthy, Mike Kelley ou encore Catherine Sullivan, puis Dora Garcia et Andrea Fraser, l'ont conduite à formuler ce nouveau terme. C'est aussi le constat historique qu'au milieu des années 1990, une rupture s'opère quant à la définition mythique de la performance. Celle-ci serait résumable en trois points : l'artiste réalise une série d'actions (seul ou en groupe), ces actions ne sont pas rejouables (hors du cadre du théâtre par exemple), en co-présence du public.

On constate bien vite que tout cela n'a jamais existé dans une pureté de cette définition. Déjà les Happenings de Kaprow (à part certains comme 18 Happenings in 6 Parts) ont des scripts, dès la fin des années 60, et justement au moment de l'apparition du terme « performance », l'individualisme de l'artiste seul face à un public séparé, même tacitement, revient. C'est aussi la fin des utopies post Vietnam et le début du passage du terme « performativité » en économie. C'est aussi l'après 68 dont « La Société du spectacle » de Debord (1967) a été un marqueur pour la pensée.
Le moment clef serait 1994, et l'émergence de nouvelles formes telles que celles pratiquées par Matthew Barney, et la réplique de Paul McCarthy et Mike Kelley, justement conçue lors du montage de « Hors Limites » : « Fresh Acconci ».

À la fois constater la rupture dans le protocole énoncé plus haut, et par ailleurs l'apparition d'une nouvelle économie, factuelle et financière, et un retour au spectaculaire. D'une part M. Barney réalisait ses premières performances seul, et la retransmission de celles-ci seulement était accessible au public, son corps athlétique et son passé de mannequin, sportif, étudiant en médecine, en faisait un représentant des canons de réussite d'une certaine classe sociale américaine, et enfin son entrée très jeune dans une des grandes galeries, Barbara Gladstone, lui donnait les moyens d'une production bien différente du bricolage post-assemblagiste de ses aînés. Par ailleurs, le principe même de sa production relevait d'une performativité au sens d'efficacité économique : produire en amont des accessoires, marchandiser ceux-ci, pour les vendre et ensuite produire des films au budget hollywoodien. Nous étions bien loin des McCarthy ou Acconci seuls dans leur cuisine, pauvres, laids et sales, ou se roulant dans le ketchup et la mayonnaise dans une classe d'étudiants américains (Class Fool, 1976).
La fin des années 1990 et le début des années 2000 sont marqués par une reconsidération de la notion de médium en art (Rosalin Krauss parle de « post medium ») en même temps que l'on assiste à une nouvelle rupture quant à la règle de non-reproductibilité des performances. Marina Abramovic énonce dès 1999 sa volonté de « re-performer » ses propres pièces et celles d'autres afin de les préserver et les faire vivre ; ce qui conduira à Seven Easy Pieces en 2005 au Guggenheim de New York. Par ailleurs, Catherine Sullivan avec It's a Pity She is A Fluxus Whore en 2004, reprenant certains gestes de Joseph Beuys lors du Fluxus Festival d'Aix-la-Chapelle en 1964, brise le tabou de la sacralisation de figures ou actions devenues, à contresens, iconiques. Née en 1968, et venant à la fois d'une pratique chorégraphique (danse Bûto), de la direction d'acteurs (Stanislavsky) et des arts visuels (elle fut l'assistante de Mike Kelley), elle déclare: « j'ai connu ces formes par des livres, des documents, des photos, et je considère ces livres comme des partitions pour pouvoir m'en emparer ».
Cette brèche dans la momification historique, muséale et contreproductive de ces pratiques ouvre une nouvelle ère dans laquelle émerge la post performance.

Allan Kaprow, How to make a Happening