22-01-2009

Susanne Bürner

Susanne Bürner est née en Allemagne en 1970 et a fait ses études à l’école des Beaux Arts de Karlsruhe (93-98). Elle vit et travaille à Berlin et Stuttgart. Ses vidéos et photographies reflètent des atmosphères qui mettent en doute notre perception de la réalité et les outils de sa transcription. L’image travaillée à l’aide de procédés dont la trace n’est pas palpable mais qui à l’évidence construisent une situation impossible, compose un monde d’anticipation. A la fois familiers et étranges, les univers construits par Susanne Bürner relèvent de ce que Freud nomme en 1919 «l’inquiétante étrangeté» ou plus proche de nous le «uncanny» cher à Mike Kelley. Sur ou sous exposée, l’image vacille et semble elle même devenir un fantôme. Ses personnages disparaissent, ainsi ces surfers sur la plage, qui sous un ciel de plomb prennent leur élan et s’en vont hors cadre pour revenir l’instant d’après. Des figures ordinaires, voisins de zone pavillonnaire, sortent au crépuscule la poubelle, ils n’en reviendront pas. Le quotidien devient, comme dans certaines séries télévisées (FBI Portés Disparus, NY PD Blues), le territoire possible de scènes de crime. Le spectateur est alors un témoin potentiel, dont le regard même n’est plus innocent. «Dans la vie on sort par la porte, au cinéma on sort par le cadre» disait Roland Barthes. De fait, le «hors cadre» devient un sujet de convoitise, que se passe-t-il au-delà de l’image? Celle-ci continue-t-elle dans la «vraie vie» ou bien n’y a-t-il rien d’autre à voir ou plutôt à penser? 50, 000,000 can’t be wrong, 2006, est exemplaire de ce doute: des foules, des visages en gros plan d’anonymes exprimant la convoitise, l’attente, joue sur notre mémoire collective du cinéma et notre capacité à prêter des émotions à des types de figures, au risque de devenir fantômes aussi. Susanne aime Smoke Gets In Your Eyes. La caméra est en place (dans une forêt automnale touffue), le cadre est composé (de délicats feuillages mais aussi des ronces ornementent la bordure de l’image sans grande profondeur de champ), ça tourne, mais il ne se passe rien (seuls “les bruits de la forêt” se font entendre). Soudain une coulée de brume sortie de nulle part (du fond de l’image) commence à se répandre lentement au raz du sol, se frayant un chemin entre la végétation pour avancer vers nous (envahissant ainsi une partie du champ). C’est le brouillard. Pour embrayer sur ce que ce film semble énoncer, on serait tenté de dire que la fiction prend le pas sur la réalité. Sauf que ce qui se déploie sous nos yeux, inondant lentement l’image, est un fantasme cinématographique, que celui-ci émet un bruit de moteur à compression, et que c’est cette co-incidence immatérielle et sonore là, répétée à plusieurs endroits d’un bois puis mis en boucle sur différentes bandes, qui achèvera de recouvrir l’image et d’occuper le champ de notre perception, et non pas le brouillard auquel l’artiste semblait nous préparer. NebelfelderChamps de brume – (2000), donne assez clairement à voir les modalités d’infiltration par lesquelles Susanne Bürner appréhende et fabrique de l’image, vidéo ou photo, pour à terme la répercuter dans le champ de l’exposition. Ici, le brouillard est en fait de la fumée artificielle provenant d’une machine analogue à celles des boites de nuits, que l’artiste a dissimulée dans la forêt. Le spectateur se voit ainsi proposer une fumée d’intérieur comme phénomène naturel, ce qui en soit est plausible puisque “c’est comme ça que ça fonctionne au cinéma“ et que de surcroît, dans l’obscurité des clubs – ou, au cas échéant, à la campagne, comme le suggèrent la série de photographies intitulés Nebel (cherchez la différence avec la vidéo Nebelfelder) - il est plutôt rare que l’on assiste à l’arrivée de la fumée puisqu’en principe celle-ci nous précède et nous englobe déjà. Mais, et de fait, une double distanciation du spectateur par rapport à l’image s’opère. La menace rampante (mise en scène) est rendue inopérante par l’intermédiaire du son (réel) et du même coup reconvertie en une forme mouvante déployée à recouvrir l’image même de la forêt, réduite au demeurant à un simple décor. En s’appropriant par la reconstitution filmée ce qui, à force, en est venu à constituer un “motif“ classique de fiction, puis en chassant cette image par une autre, Susanne Bürner nous renvoie à des questions qui se télescopent et que l’on peut retrouver, en creux, au fil de son travail : comment déjouer cette persistance de l’image qui nous fait voir des choses là où il n’y en a pas ? Comment rejouer les images d’un monde qui ne s’appréhende presque plus qu’au travers de ce filtre ? Que se cache t-il là-dessous et au-delà ? Scindant l’image par une mise en évidence du ressort même des fictions en jeu, l’artiste génère des décalages perceptifs à la fois drôles et pervers, rendant toute projection illusoire alors même qu’elle avait auparavant laissé le champ libre et stimulé notre adhésion. Ainsi confronté à une vidéo dont les mécanismes sont mis à nu sous nos yeux, on se retrouve effectivement dans un brouillard qui finit par envelopper l’espace même de la projection puisque celui-ci ne contient plus que le spectateur, aux prises avec ses propres démons face à une fiction de(s) bois. Eva Svennung 2002