Du 14-11-2019 au 07-12-2019
Inventer le lieu à son endroit ! épisode 2
Trois expositions, ou une exposition expérimentale de l’Unité de recherche Art Contemporain et Temps de l’Histoire (ACTH) dans le cadre de Résonance – La Biennale de Lyon
Un projet de : Yann Annicchiarico, Axelle Bonnard, Vincent Ceraudo, Michala Julínyová, Sophie Lamm, Jennifer Lauro Mariani, Maïté Marra, Marion Roche, Philippe Rousseau, Bernhard Rüdiger.
« On allait tous les jours au campus américain pour suivre le programme de la Summer School as School. Les bus 4 et 5 empruntaient la rue du Dr Shpëtim Robaj, c’était une partie du parcours qu’ils avaient en commun. Il pleuvait tous les jours à Prishtina alors on prenait presque toujours le bus, mais parfois on a marché dans la rue du Dr Shpëtim Robaj et traversé le parc qui la longe en contrebas. Dans ce parc, coule un ruisseau sans nom. Le Dr Shpëtim Robaj est mort en 1998 lorsqu’un camion de la Croix-Rouge dans lequel il se trouvait a roulé sur une mine. Ses collègues, eux, ont été blessés. Je le sais maintenant, à l’époque on était allées seulement chez le coiffeur Armendi. » [1]
Le Kosovo a « inventé » son territoire et sa géographie sur les noms des héros et anonymes de sa guerre d’indépendance. Témoigne aussi de cette invention, par exemple, son drapeau dont la conception a été soumise à concours. Driton Selmani, artiste kosovar, a contesté la légitimité du drapeau albanais, expression communautaire exhibée par la ville de Prishtina, dans son action Red Tape en 2018. [2] Sans la moindre autorisation il a remplacé l'énorme drapeau flottant dans l'espace public par celui des arbitres de touches au football, un damier rouge et jaune qui, levé par l'arbitre, signifie autant la faute que le hors-jeu. Irène Mélix, lors de son séjour à Prishtina, voyait dans un étendard noir un possible drapeau pour ce pays fêtant ses dix ans d’indépendance. [3]
Cependant, ce projet d’exposition n’a pas pour sujet le Kosovo, ni Prishtina, ni même la rue du Dr Shpëtim Robaj. Il s’inscrit avant tout dans une recherche prenant pour objet « l’invention ». L’invention de lieux de mémoire, des noms ou des symboles, n’est pas dans cette histoire locale et tragique une simple création ex nihilo ou un recommencement sans racine. Quand on affirme que le Kosovo de l’après-guerre yougoslave a inventé son territoire, on entend le mot invention selon l’emploi qu’en fait Pier Paolo Pasolini en approchant cette notion par son étymologie latine : Invenire, qui signifie « venir (venire) sur (in) quelque chose, trouver, rencontrer ». L’invention, souligne Anne-Violaine Houcke dans sa lecture de l’œuvre pasolinienne, « est un phénomène de rencontre entre un sujet engagé dans une démarche vers quelque chose, et un "quelque chose" en attente d’un regard qui le découvre ». [4]
L'invention du paysage est le propos de ce projet d'exposition qui prendra la forme d’un parcours. Une exposition évolutive réalisée en trois étapes qui se réorganise chaque fois par l'ajout de nouvelles œuvres d'artistes invités ou déjà actifs au sein du groupe de recherche. Les nouvelles œuvres relancent le dialogue donnant à voir ce qui s'invente dans ce cheminement qui fait advenir le lieu à son endroit. Les artistes interviennent en inventeurs comme le fait le découvreur en archéologie : « celui qui découvre un site, celui qui sait repérer ce que d’autres ne voient pas, par l’acuité d’un regard engagé dans un processus de révélation de ce qui est déjà là ». [5]
L’approche politique propre à toute invention du paysage est un axe central du projet appelé « À l’endroit du lieu », conduit par l’unité de recherche ACTH à l'Ensba Lyon sous la direction de Bernhard Rüdiger. Dans le cadre méthodologique d'une exposition expérimentale, il s’agit de confronter les approches plurielles des artistes et d'ouvrir une discussion là où chaque œuvre propose une articulation inédite d'histoires politiques, sociales et culturelles des pays, des territoires, des lieux.
Cette nouvelle occurrence du projet À l’endroit du lieu se propose ainsi de travailler à partir de territoires et de paysages stratifiés, disparus sans laisser de traces, mais toujours présents à notre expérience muette du monde, en s’appuyant notamment sur les archives, les films, les photographies, les œuvres qui nous permettront de les déchiffrer. Ainsi nous espérons participer à restituer l’ubiquité des paysages, leur capacité à être de plusieurs temps, passé et présent et fondation du futur.
À partir des œuvres des artistes invités : Louidgi Beltrame (France), Minkyung Baek (Corée-France), Meriton Maloku (Kosovo-Belgique), Lek M. Gjeloshi (Albanie) et Ingel Vaikla (Estonie).
Et des œuvres des chercheurs : Yann Annicchiarico, Axelle Bonnard, Michala Julínyová, Sophie Lamm, Jennifer Lauro-Mariani, Maïté Marra, Marion Roche, Philippe Rousseau et Bernhard Rüdiger.
[1] Extrait de « À deux pas de BKUK », blog de voyage d’Irène Mélix et Maïté Marra. Ce projet s'inscrit dans la collaboration de l’unité de recherche ACTH avec le projet Summer School as School conduit à Prishtina par le centre d’art Stacion.
[2] Driton Selmani, Red Tape, 2018 : http://dritonselmani.com/red-tape/
[3] « À deux pas de BKUK », blog de voyage d'Irène Mélix et Maïté Marra.
[4] Anne-Violaine Houcke, Ignoti, banditi, dimenticati : le (hors-)champ de l'Italie (post-)fascisme/la fracture interne, in Laurence Schifano et Antonio Somaini (dir.), Que viva Mexico! Anthropologie, archéologie, modernité, Paris, Presses Universitaires de Nanterre, coll. L’œil du cinéma, 2015.
[5] Anne-Violaine Houcke, ibid.
Réfectoire des nonnes
À son endroit, épisode 2
Louidgi Beltrame, Axelle Bonnard, Sophie Lamm, Maïté Marra
Vernissage jeudi 14 novembre à 18h30
du 15 novembre au 7 décembre
Exposition en entrée libre
du mercredi au samedi de 13h à 19h