territories les lacets sont défaits.
exposition du 20 septembre au 21 octobre 2006
Galerie nord // Kunstverein Tiergarten // Berlin
www.kunstverein-tiergarten.de
Défaits, des lacets ? Quels lacets ? Ils pourraient, par exemple, être encore retenus aux œillets des fameuses chaussures ouvertes de Van Gogh. On les empruntera pourtant à deux sources plus récentes.
1. Dans Le Moindre Geste, film de Fernand Deligny, Yves, un enfant attardé et fugueur, bat les montagnes des Cévennes à la recherche d’un compagnon tombé dans une crevasse. Régulièrement, et sans jamais y parvenir, il s’échine à attacher les lacets de ses souliers, à tenter de nouer ici, des branchages, là, des phrases entre elles. Liés à moitié, croisés sans se refermer, les lacets restent défaits. La boucle sur soi-même, le lien entre lui et les autres, la saisie du paysage alentour, la perspective d’un pays, rien ne parvient à faire figure, à se boucler.
2. Dans Je vous salue Marie, de Jean-Luc Godard, l’ange Gabriel s’incarne à l’écran en une figure dédoublée : un grand dadais brutal accompagnée d’une gentille petite fille. A son / leur arrivée sur terre – à l’aéroport – il / elle / ils joignent ensemble les lacets dénoués d’une de leur chaussure, en coordonnant scrupuleusement en duo leur mouvement. La boucle ici est réussie, mais divisée par le fait d’être réussie à deux. La boucle se ferme : elle s’ouvre, en deux.
Admettons que ces exercices de bouclage, ces corvées en direction de la figure, ces formes d’une définition servent de guide pour une exposition collective. Admettons qu’il s’agisse de passer d’Yves à Gabriel, et de Gabriel à Yves. Ligne de partage entre les artistes eux-mêmes, bien sûr, mais ligne qui traverse aussi chacun des travaux de chaque artiste, chacun des domaines qu’ils explorent (dessin, sculpture, installation, film, etc.). Que la question de l’appartenance à un paysage, à une langue, à un pays soit prise au sérieux ; que la question des frontières et du dessin qu’elles configurent soient refusées comme une fatalité politique, mais interrogées comme une inquiétude, une réalité, à partir d’autres nécessités que stratégiques. Voilà, trop largement dit, l’horizon offert par ces fines cordelettes.
Jean-Pierre Rehm // théoricien du cinéma et coordinateur du post diplôme de l'ENBA lyon